Cathédrale Saint-Caprais à Agen, le dimanche 2 juillet 2017Homélie de Mgr Hubert HERBRETEAU pour l’ordination sacerdotale de Dominique RAFFRAY en la cathédrale Saint-Caprais à Agen, le dimanche 2 juillet 2017
2 R 4, 8-11.14-16a ; Ps 88 ; Rm 6, 3-4.8-11 ; Mt 10, 37-42
Chers amis, frères et soeurs, cher Dominique,
« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son
fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui ne prend pas sa croix et ne me
suit pas n’est pas digne de moi. » Nous venons d’entendre une parole de Jésus dérangeante,
difficilement recevable pour la mentalité moderne qui revendique son autonomie et sa liberté.
Cette parole s’adresse à tout disciple du Christ, à tout baptisé. Mais pour un homme qui va
être ordonné prêtre, cette parole de Jésus n’est sans doute pas facile non plus à accepter. Elle
peut apparaître comme une négation des composantes de toute existence véritablement
humaine : l’affectivité, l’épanouissement de soi, le désir d’être reconnu et de créer, le bonheur
de fonder une famille… Appartenir au Christ, cela suppose-t-il une rupture radicale avec le
milieu familial, avec les liens affectifs tissés au cours de notre vie ? Tout laisser pour le Christ,
est-ce bien raisonnable ? Finalement, aimer le Christ et le suivre, cela signifie-t-il une perte
totale de l’identité humaine ?
Dominique, tu as la conviction contraire. Tu me l’as écrit : « Je suis convié par l’amour de Dieu à le manifester. La notion d’accomplissement prend ici pleinement sa valeur. Elle est une
conformation de ma vie à l’image de celle du bon berger. Il aime ses brebis et donne sa vie pour elles. » Il n’y a donc pas concurrence et opposition entre nos affections et notre amour du Christ.
Aller au Christ, c’est en même temps s’ouvrir aux autres et vouloir donner sa vie pour eux.
Au départ, un appel de Dieu
La parole de Jésus ne peut se comprendre sans l’appel de Dieu entendu au plus secret de ton
coeur, Dominique, et entendu aussi par la médiation de l’Église. Comme à chaque ordination
sacerdotale ou diaconale, au début de la célébration, j’ai demandé à celui qui a la charge de te présenter et de se porter garant : « Savez-vous s’il a les aptitudes requises ? » Cette question, il faut la recevoir dans la dynamique de l’appel de Dieu. En effet, de quelles aptitudes s’agit-il ?
La question des aptitudes pour un prêtre ne correspond pas à un profil de poste préétabli. Cela n’a rien à voir avec la sélection d’un directeur de ressources humaines d’une entreprise. Un prêtre agit au nom du Christ dans les sacrements, prononce les paroles du Christ dans la
célébration eucharistique.
Savez-vous s’il a les aptitudes requises ? Tout homme serait alors en droit de répondre : « Je
ne suis pas digne de la mission que l’on me demande. Je n’ai pas les aptitudes requises. » Un
peu comme Jérémie, lorsque le Seigneur l’appelle, le futur prêtre pourrait s’exclamer : « Ah !
Seigneur, vraiment je ne sais pas parler, car je suis un enfant » (Jr 1, 6). Ou encore comme
Isaïe : « Je suis un homme aux lèvres impures » (Is 6, 5). Qui peut prétendre avoir les
aptitudes pour agir et parler au nom du Christ ?
Au coeur de cette question des aptitudes requises, il y a le mystère d’une vocation, d’un appel
du Seigneur qui vient saisir un homme sur sa route, lui donne de s’attacher au Christ comme à
son meilleur ami et d’aimer son prochain de toute sa force.
Nul n’est digne par lui-même d’être prêtre mais, lorsque l’appel de Dieu retentit, c’est dans
l’humilité et la conscience de ses limlites qu’un homme ose répondre comme le prophète
Isaïe : « Me voici, envoie-moi » (Is 1, 8).
Le détachement
Deux aptitudes (ou plutôt deux attitudes spirituelles) sont alors requises : l’humilité, le
renoncement au pouvoir. Le prêtre doit servir à l’image de celui qui s’est fait serviteur de tous,
le Christ. Le Christ, sur la croix, est celui qui rassemble tous les hommes pour les conduire au
Père. Le prêtre sert l’unité de la communauté dont il a la charge. En célébrant l’Eucharistie, le
prêtre, homme consacré au Seigneur et à son Église, doit désigner cet amour du Père qui
unifie, console, réconcilie.
Humilité, renoncement au pouvoir, détachement. Il y a quelqu’un qui peut te guider,
Dominique, sur ce chemin parfois rude. Je voudrais l’évoquer devant tous les diocésains réunis cet après-midi dans la cathédrale.
C’est une jeune fille de chez nous qui sera béatifiée le 10 juin 2018. Il s’agit d’Adèle de Batz.
Très jeune, elle a désiré se consacrer totalement au Seigneur. Toutes ses lettres, elles sont
nombreuses parce qu’elle avait vraiment le charisme de la correspondance, mettent en valeur
le détachement et l’humilité.
Pour elle, s’attacher pleinement au Seigneur, c’est se détacher de ce qui éloigne de Dieu, de ce qui est l’esprit du monde englué dans la recherche effrénée de la puissance, de l’apparence et des richesses. Elle déclare à son amie Agathe, dans l’une de ses lettres : « Je vous propose de faire la méditation, dimanche, sur le détachement. Et nous examinerons là, de quoi et comment nous devons nous détacher. Nous prendrons la ferme résolution de faire tout ce qui sera nécessaire pour cela et nous implorerons la grâce de Dieu pour entreprendre ce pénible ouvrage que sa grâce et son amour nous ferons trouver doux, puisque ce sera pour Lui que nous le ferons » (Lettre 19).
Adèle ne met pas de côté sa sensibilité pour autant. Dans une autre lettre, elle déclare :
« Nous nous sommes trop attachées à la créature ? Eh ! bien que toute la tendresse et la
sensibilité de notre coeur se portent vers le Seigneur » (Lettre 45).
Il n’y a pas concurrence entre le désir d’aimer les gens et le désir d’aimer le Christ. Avec ta
sensibilité, tes qualités relationnelles, ta générosité, tu sauras mener dans ton ministère une
« vie nouvelle » comme le dit si bien saint Paul, dans la seconde lecture. Une vie nouvelle,
« comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts ».
Un accomplissement Laisse alors résonner la parole de Jésus : « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi. » En ce sens, tu m’as écrit : « Être ordonné prêtre dépasse tout ce que mon intelligence et ma volonté peuvent saisir de ce ministère. Cependant, en préparant ma lettre de demande, je suis accompagné par cette parole de l’Écriture : “Tout est accompli”. Le Christ prononce cette parole sur la croix, exprimant ainsi son consentement total à la volonté du Père. L’action rédemptrice se réalise dans l’abaissement jusqu’à la mort du Fils pour vaincre la mort. Que la volonté de Dieu s’accomplisse en moi. »
On est loin ici des aptitudes requises pour un chef d’entreprise.
Dominique, tu es appelé à devenir prêtre, tu as été choisi parmi ceux qui ont reçu l’appel à
être consacrés au Seigneur dans le célibat « en vue » du Royaume des Cieux.
Par l’ordination, au nom du Christ en personne, tu es appelé à servir la vérité de la Bonne
Nouvelle, avec l’attitude du Bon Pasteur.
Au nom du Christ, tu es appelé à servir la vie en aidant les gens à rencontrer le Christ dans les
sacrements qui donnent la vie de Dieu.
Au nom du Christ, tu es appelé à servir la communion entre tous, entre toutes les
communautés qui constituent l’Église.
Enfin prêtre à la manière des apôtres, tu seras un homme pauvre, serviteur de la joie des
hommes. Tu te tiendras à côté du pauvre pour dire et servir la puissance de Dieu qui vient
réconforter et sauver l’humanité.
Entrons maintenant plus avant dans notre célébration. Que l’action de grâce jaillisse de ton
coeur Dominique ! Nous tous, nous nous associons à ta joie de servir le Christ et l’Église.
Amen !
Mgr Hubert HERBRETEAU