Messe d’action de grâce,
à la cathédrale Saint-Caprais,
le 25 juin 2023
Chers amis, frères et sœurs,
Vous connaissez sans doute ce sketch de Raymond Devos, intitulé : « Parler pour ne rien dire ». L’humoriste commençait ses spectacles ainsi : « Je n'ai rien à dire, mais ça va prendre un peu de temps. » Et vous savez la suite : « un rien, ce n’est pas rien, deux fois rien, ce n’est pas beaucoup, et avec trois fois rien… on peut acheter quelque chose », etc.
« Je n’ai rien à dire mais ça va prendre un peu de temps ! » C'est un peu mon cas cet après-midi. Je ressens le besoin de ne rien dire et de laisser toute la place au Christ dont j'ai reçu la mission en rendant grâce avec vous par des chants joyeux et enthousiastes. Cela suffirait amplement.
Mais je ressens aussi la nécessité de relire devant vous mes dix-huit années passées à la tête du diocèse en communiquant ce qui m'a profondément marqué et en exprimant les motifs d'action de grâces.
À l’opposé de Raymond Devos, j’ose donc affirmer : « J’ai donc quelque chose à vous dire, mais ça ne prendra pas forcément beaucoup de temps. ». Voici quelques points marquants de mon épiscopat : les saints fondateurs ; les visites pastorales ; les temps forts.
Porté par les saints fondateurs
J'ai toujours été ému en entrant en procession dans cette cathédrale au moment des grandes fêtes liturgiques (Toussaint, Noël, la messe Chrismale, Pâques, Pentecôte) et en d'autres circonstances. Ému en passant sous le petit saint Caprais représenté dans la voûte juste après la porte d’entrée. Saint Caprais l'un des jeunes martyrs du IIIème siècle.
Ému de passer sous les grands personnages de l'Ancien Testament et du Nouveau : les patriarches, les rois, les prophètes, les évangélistes et les Apôtres, les martyrs, jusqu'à Saint Phébade qui revêt une grande importance pour moi (c’est le premier évêque connu d’Agen, au IVème siècle). Se sentir précédé par des témoins remarquables rend modeste et humble. Cela ne m'a jamais écrasé. Au contraire être porté sur les épaules des géants de la foi m'a toujours réconforté. En quelque sorte, comme on le dit pour un air de famille, je me suis toujours dit : « J’ai de quoi tenir. »
Je prends à mon compte ce que dit Ben Sira le sage : « Faisons l’éloge de ces hommes glorieux que sont nos ancêtres, leurs enfants ont persévéré dans l’Alliance grâce à eux » (Si 44, 1.9-13).
La devise de la ville d'Agen au-dessous du trône de la Vierge Marie, reprenant le psaume 127, a souvent fait l'objet de ma méditation : « Si le Seigneur ne garde la ville, en vain les gardiens ne la gardent. » J’ai souvent prié pour cette ville et ces habitants. Très vite, grâce à Jean-Pierre Ortholan, Oliver Moran, Jean-Claude Lasbènes, j’ai aimé Agen, sa culture, le SUA et son stade, ses théâtres, Garonne et le Pont-Canal…
Je rends grâce à Dieu pour cette ville accueillante, tantôt active et tantôt nonchalante (il y fait chaud parfois !), tantôt festive et tantôt laborieuse, fière de ses boulevards et du coteau de l’Ermitage. J’ai souvent prié Sainte Foy, cette adolescente agenaise de 12 ans, martyre au IIIème siècle, la gardienne de cette ville. Le Consul Dacien, drapé de sa toge consulaire l’a interrogée : « Comment t’appelles-tu ? » « Je m’appelle Foy, Foy c’est mon nom et toute ma vie. » « Quelle est ta religion ? Quelle est ta foi ? » Foy a répondu avec assurance : « Dès ma plus tendre enfance, je suis chrétienne et je sers le Seigneur Jésus Christ de toute l’ardeur de mon âme : je confesse son nom et je m’en remets à lui par toute ma volonté » Quelle belle profession de foi ! Oui j’ai prié sainte Foy pour qu’elle protège cette ville et la garde en paix. Et j’ai perçu sa présence à mes côtés, comme j’ai perçu celle de nos deux bienheureux : Adèle de Batz et Marie-Joseph Cassant.
Mes visites pastorales
Je dois rendre grâce aussi pour ce département aux multiples couleurs. En faisant pendant quatre ans, à partir de 2009, la visite pastorale de toutes les paroisses (une semaine dans chacune), il m’a été donné de traverser de multiples paysages : de la Gascogne à la Guyenne, de la forêt des Landes à la douceur des collines du Gers, des vallées du Lot et de la Garonne aux coteaux et aux pays de Serres. Sans oublier le point de jonction du Lot et de la Garonne.
J’aime bien ce qu’écrivait notre bienheureux Marie-Joseph Cassant, né à Casseneuil : « L'étude de la théologie se continue dans le grand livre de la nature, dont chaque page nous montre les grandeurs de Dieu, au milieu de nos vignes aux pampres vermeils (et nos vergers) qui couvrent les coteaux verdoyants. »
J’ai souvent constaté la vitalité de l’Église qui est en Lot et Garonne. « Vivante Église en Lot et Garonne » est le titre qui figurait chaque année dans ma lettre pastorale.
J'ai vraiment admiré les paroissiens fiers de leurs magnifiques églises, les acteurs de la pastorale accompagnés par leur curé.
Je compare souvent la pastorale au théâtre. Que serait le théâtre s'il n'y avait pas les pièces que l'on y joue, les chorégraphies que l'on met en scène et les musiques que l'on interprète ? Mais que serait le théâtre s'il n'y avait pas les techniciens de la lumière et du son, les créateurs de décor, les maquilleuses ?
Il en est de même de la pastorale d'un diocèse : que serait cette pastorale s'il n'y avait pas la pastorale qu'on y déploie et les « techniciens » souvent discrets qui s'activent au service de cette mission ?
Je dois l’avouer je suis endetté en quittant le diocèse d'Agen. Ma dette est grande. Je ne pourrai jamais rendre tout ce que j’ai reçu !
Je rends grâce, pas tant pour telle ou telle réalisation ou activités pastorales, mais avant tout pour avoir eu la joie de rencontrer des communautés vivantes, des enfants et des jeunes, des adultes (en particulier les délégués pastoraux), aimant servir l'Église. Ainsi quel bonheur pour un évêque de confirmer des jeunes et des adultes ! De manière presque palpable il m'a été donné de voir l'action de l'Esprit Saint dans leur cœur.
Je rends grâce pour les communautés de vie contemplative et de vie apostolique. Avec parfois le regret de voir la fermeture de certaines communautés, comme celle des Annonciades en mai 2019. Ces communautés même vieillissantes ont un rayonnement que j'ai souvent admiré. Je salue la vitalité et le rayonnement de l’abbaye Sainte-Marie de la Garde !
Mon accompagnement de tous les établissements scolaires, avec le soutien des Directeur et Directrices de l’Enseignement catholique fut pour moi source de dynamisme et d’espérance.
J’ai apprécié enfin la bonne collaboration avec les maires de petites communes, entre autres à l'occasion de l'inauguration d'une église rénovée.
Des temps forts
Au cours de mes dix-huit années d’épiscopat, j’ai été soutenu au quotidien par de remarquables vicaires généraux : Oliver, Laurent (devenu évêque de Cahors), et Pierre. L’abbé Pierre Bonnet dont le décès m’affecte énormément. J’ai été bien entouré et conseillé par les personnes de l’évêché (chancellerie, économat, communication, cuisine) à commencer par ma secrétaire Martine (absente pour raison de santé) et les membres du conseil épiscopal.
Je remercie infiniment les prêtres et les diacres, fidèles dans leur ministère ordonné, associés à ma gouvernance.
Je rends grâce pour les rassemblements diocésains qui ont jalonné mon épiscopat : la fondation des nouvelles paroisses en 2009 et la béatification de la bienheureuse Adèle de Trenquelléon en 2018. Ce furent des temps forts, festifs, et signe d'une belle vitalité et d’une grande communion fraternelle.
Les trois sanctuaires mariaux avec leurs thématiques (la paix, l'écologie et la famille) m’ont comblé de bonheur. Ils donnent vraiment de l'élan spirituel à tous les diocésains. Il me semble que, grâce à eux, la spiritualité mariale est une aide précieuse pour tenir dans la foi à travers les épreuves. J’ai toujours voulu être présent à Lourdes avec l’hospitalité diocésaine.
Parmi les temps forts qui ont marqué la vie civile et religieuse, je garde en mémoire trois sépultures qui ont eu lieu dans cette cathédrale : celle de Jean Francois-Poncet, celle de Michel Serres et celle de Paul Chollet. Moments intenses d’émotion, et aussi, pages d’histoire qui se tournent !
Je n’ai pas connu que des évènements heureux. J’ai souvent pensé à ce que disait Saint Grégoire le Grand (VIème siècle) : « Après avoir endossé le fardeau de la charge pastorale, mon esprit ne peut plus se recueillir assidûment, parce qu'il est divisé par quantité de soucis. (…) Lorsque l'esprit est amené à se disperser et à se déchirer par le souci d'affaires si nombreuses et si importantes, comment peut-il rentrer en lui-même afin de se recueillir entièrement pour la prédication, et ne pas renoncer au ministère de la parole ? »
Mais passons et retenons que les moments heureux ! L’invitation de Jésus à ses apôtres, en ce 12ème dimanche ordinaire est à retenir : « Ne craignez pas ! » Le diocèse d’Agen, modeste mais vivant, n’a pas à craindre les bouleversements de notre société et de notre Église. Il doit résolument fixer les yeux sur le Christ. Par lui, la grâce de Dieu s’est répandue en abondance » (Rm 5, 15).
J’aurais encore beaucoup de choses à vous dire mais je me suis engagé à ne pas être trop long ! Permettez-moi de terminer par un autre mot d’humour. René Fallet, ce bon copain de Georges Brassens, avait la réputation d’être un écrivain lent (pas plus d’un livre tous les deux ou trois ans) afin de lui permettre de vivre ses deux passions : la pétanque et la pêche. René Fallet disait : « Les heures passées au bord de l’eau sont à déduire de celles passées au paradis. »
Je transpose en ce qui me concerne : « Les heures passées dans les paroisses du diocèse sont à déduire de celles que je passerai au paradis. »
Au cours de mes dix-huit années passées dans le diocèse d’Agen, j’ai goûté à la joie du paradis. Chers amis, rendons grâce dans cette eucharistie pour tous les bienfaits reçus de Dieu !