La première lecture est un peu complexe ; néanmoins, la finale nous rappelle l’origine de la fête de tous les saints, à savoir, la commémoration des martyrs.
Le transfert de reliques de martyrs romains au Panthéon de Rome en 609 par le pape Boniface IV est la première mention connue. Dédié d’abord aux dieux romains, le Panthéon est confié à l’Église par l’empereur Phocas en 609 que Boniface consacre à Marie et aux martyrs sous le nom de Sainte Marie aux Martyrs et y fit transférer donc de nombreux corps de martyrs des catacombes.
Cette fête a été élargie à tous les saints et toutes les saintes déjà reconnus, mais aussi à toutes celles et tous ceux qui le sont en puissance, car c’est la vocation de chacun, marcher en présence de celui qui est saint, Dieu, jusqu’à le voir tel qu’il est.
En somme, la fête de tous les saints est un peu la fête du Royaume, la fête du peuple de Dieu.
Dans ce peuple de Dieu, il y a ceux qui se savent ‘enfants de Dieu’ par leur vocation, comme le peuple juif, peu importe de ce qu’il fait de sa vocation.
Il y a ceux qui ont cru au nom du Christ, lui qui leur donne le pouvoir de devenir ‘enfants de Dieu’.
Il y a enfin les hommes et les femmes de bonne volonté sur qui l’évangile du jour nous invite à ouvrir notre regard et notre compréhension, car ces gens ont une étincelle des béatitudes dans le cœur.
Cela touche la vocation de chacun en particulier, car chacun de nous est appelé à avoir le Bien en lui.
Bien entendu, dans le peuple de Dieu, il y a aussi l’ivraie, sous toutes ses formes et manifestations.
L’ivraie ne fait pas croître le Royaume. Bien au contraire, l’ivraie essaie de l’assécher dans un singulier combat contre Dieu en s’en prenant à des victimes de substitution.
Les personnes qui font croître le Royaume sont celles qui savent et œuvrent de concert ; celles aussi qui œuvrent sans savoir.
Celles-là jouissent du Bien dès maintenant, le Bien qui est Dieu, en attendant de le voir tel qu’il est.
Pour visualiser cette singulière réalité, je vais évoquer la scène de la Transfiguration comme parabole.
Dans ce récit, il se produit une ouverture du temps dans laquelle le passé, le présent et le futur forment un même creuset où le Christ, Moïse et Élie s’y retrouvent. Les trois apôtres ont du mal à habiter l’événement. Ils ne sont pas encore en phase avec cette réalité. Pour pleinement l’habiter, il faut être à la même hauteur que les personnes qui l’habitent.
Une autre parabole, plus contemporaine et dans nos coordonnées. Je vais recourir une fois de plus au Foyer Saint François.
Il arrive assez fréquemment, lors d’une cérémonie dans la chambre d’un patient, que s’ouvre une fenêtre de l’espace-temps dans laquelle les personnes présentes s’ouvrent de concert et vivent un moment de vérité, un moment de grâce, comme si le temps s’était arrêté.
Nous sentons alors que nous sommes faits pour vivre la vérité, même si, pour l’heure, nous ne pouvons pas y demeurer indéfiniment, car nous risquerions d’exploser.
De toute façon, temporellement et matériellement, la fenêtre doit se refermer pour que chacun aille vaquer à ses occupations une fois la cérémonie terminée.
Néanmoins, à l’instar de trois apôtres, nous avons vécu cette expérience. Aucun participant ne pourra le nier.
Sur la base de ces paraboles, voir Dieu tel qu’il est serait comme pouvoir rester indéfiniment dans cette ouverture de l’espace de vérité sans exploser, que ce soit sur la montagne de la transfiguration ou dans la chambre du patient, car nous serions alors comme un Moïse, un Élie ou un Christ. Nous serions alors comme Lui nous dit saint Jean.
Voilà l’horizon que la fête de tous les saints célèbre par anticipation et comme invitation.
Pour cela, l’Esprit est promis à chacun, même à l’ivraie pour qu’il revienne à de meilleurs sentiments et parvienne à demeurer avec le Christ éblouissant.
Roland Cazalis, compagnon jésuite
Ap 7, 2-4.9-14 ; Ps 23 (24), 1-2, 3-4ab, 5-6 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a