Saint François d’Assise (1182-1226)
À 25 ans, Francesco Bernardone fit la rencontre du Christ pauvre, libre et joyeux.
Il rompit avec sa riche famille et se trouva bientôt l'inspirateur de très nombreux disciples.
La figure du saint italien évoque un art de vivre et une manière d’être chrétien. Le pape Grégoire IX l’a canonisé en 1228. Amoureux de la nature, Jean Paul II l’a fait patron de l’écologie en 1979. Il inspire aussi les non-violents.[Compagnons de Saint François].
Saint François d’Assise est né en 1182. Sa mère voulait l’appeler Jean mais son père, de retour d’un voyage en France lui donna le nom de François. Sa notoriété, de son vivant même, lui fit perdre son nom de famille, « Bernardone ». Il devint François d’Assise, donnant ainsi un renom à la ville de l’Italie centrale qui l’avait vu naître. Aujourd’hui encore son nom évoque un art de vivre et une manière d’être chrétien. Cet homme a favorisé la renaissance de la vie évangélique dans la dure histoire des hommes.
Son père est commerçant, et François découvre la valeur de l’argent. Il sait l’utiliser plus pour ses propres loisirs que pour répondre aux besoins des pauvres qui mendient. Un désir de promotion sociale le travaille, il rêve d’être chevalier. Il s’engage dans l’armée mais son rêve tourne court et connaît avec d’autres la condition de prisonnier.
De retour à Assise, il déprime mais il mûrit. Il découvre alors la bonté de Dieu. Ses yeux s’ouvrent et il voit le monde autrement: la société nouvelle qui se voulait libre et égalitaire a aussi ses exclus: les pauvres, les lépreux, les petits…
Dans sa quête de mieux vivre, il fréquente les chapelles en mauvais état. Dans sa prière, il entend le Christ qui lui parle au cœur: « François va, et répare ma maison, qui, tu le vois, tombe en ruine ! » François se fait maçon et répare des églises dans les environs d’Assise.
Nouvelle étape de conversion, il entend l’Évangile dans son radicalisme, il rompt avec sa famille, prend la route, soigne les lépreux et annonce à qui veut l’entendre que « Dieu est Amour ». Séduit par l’Évangile, il y découvre un sens pour sa vie. Il se laisse habiter par cette Parole, simplement, sans concession. En 1209, il se rend à Rome, rencontrer le pape Innocent III pour lui demander d’approuver son désir de vivre selon l’Évangile. Il devient lui-même entraîneur pour nombre d’hommes et de femmes qui découvrent par lui le bonheur de vivre en Dieu et le bienfait de la fraternité.
Car François vit une relation fraternelle avec tous, respectueux de chacun, il n’exerce aucun pouvoir sur personne et ne fait pas de différence entre le riche et le pauvre, entre le fort et le faible. Il porte la paix à tous.
Il inspire les amoureux de la nature comme les écologistes mais il donne à penser plus loin par son regard pénétrant sur la création. Il la chante non seulement par sensibilité, mais dans la conviction que toute vie trouve son origine en Dieu.
Il peut inspirer l’action des non violents par son sens de la personne humaine, son respect de l’autre et sa foi dans le dialogue.
Sans le savoir, en réparant des églises, François se préparait à restaurer l’Église. Son intuition fondamentale fut de faire confiance à cette institution en ruines. Il crut à son renouveau possible par sa conversion personnelle, dans l’espérance d’une évolution collective. Son rapport à l’Église fut un rapport de dialogue mais aussi de conviction, de créativité sans rupture. Exigeant pour lui-même et pour ses frères, il crée une dynamique qui donne un nouveau visage à une Église engourdie.
François d’Assise a révélé la force de l’Évangile. Il a donné espoir aux pauvres, aux exclus, aux mal aimés par son sens de l’humain et sa passion pour le Christ. Il entre dans l’éternité de Dieu le 3 octobre 1226.
Fr. Thierry Gournay, Église Catholique en France
SAINT FRANÇOIS D'ASSISE, LE PREMIER ÉCOLOGISTE
Pourquoi saint François d’Assise aimait-il tant la nature et les animaux ? Quel est le lien entre la pauvreté franciscaine et le souci de la Création ? Le P. Dominique Lang, assomptionniste et journaliste à Pèlerin, rappelle l’histoire de François et l’influence de sa spiritualité sur les préoccupations du pape actuel, mais aussi de ses prédécesseurs...
Propos recueillis par Sophie de Villeneuve, dans l’émission Mille questions à la foi sur Radio Notre-Dame.,
le 26/02/2020
Sophie de Villeneuve : Pourquoi dit-on parfois que saint François d’Assise est le premier saint écologiste ?
D. L. : C’est Jean-Paul II qui le premier a eu cette audace. Archevêque de Cracovie dans les années difficiles où Solidarnosc s’opposait au régime communiste polonais, Karol Wojtyla était très proche d’une branche de la famille franciscaine, les capucins, qui étaient très engagés dans les combats de l’époque, aux côtés de Solidarnosc. Avec les droits sociaux, une de leurs préoccupations portait sur l’état des paysages polonais, sur l’état de la Vistule, complètement polluée par l’industrie polonaise, sur l’état dans lequel le régime communiste laissait l’environnement de leur pays. Quand Karol Wojtyla est devenu pape, en 1978, il est allé faire un pèlerinage à Assise. Six mois plus tard, il a publié une bulle dans laquelle il déclarait François d’Assise patron des écologistes.
On connaît bien sûr le fameux cantique de François, dans lequel il salue le soleil, la terre, les animaux... Le lien à la nature fait-il partie intégrante de sa spiritualité ?
D. L. : Il serait évidemment anachronique de dire que François était « écologiste », puisque ce mot date du XIXe siècle. Mais je crois que sa conversion personnelle l’a fait sortir du milieu de ses parents, du monde marchand, de la « petite bourgeoisie » de sa petite ville italienne. Quand il prend conscience du non-sens dans lequel il vit, manger, boire, consommer sans savoir où il va, il décide de reprendre en main sa foi chrétienne et d’être cohérent. Alors qu’il vient de quitter ses habits de bourgeois, la première rencontre qu’il fait sur sa route est celle d’un lépreux. Il a une hésitation : va-t-il oser le prendre dans ses bras ? Il le fait, et se sent ainsi libéré de toute peur. Au fur et à mesure qu’il s’engage dans une pauvreté radicale, assumée, il découvre toute une part de la société oubliée : les pauvres, les lépreux, les enfants, dont il faut prendre soin. Et que dans cette part oubliée, il y a aussi le reste de la Création, que l’on utilise, que l’on exploite, comme les bêtes de somme qui sont aussi des créatures de Dieu. On voit alors François commencer à prêcher aux oiseaux, aux poissons, au loup de Gubbio, etc. Cela nous paraît aujourd’hui romantique, mais c’était un acte prophétique.
Prêcher à la terre entière, et non seulement aux hommes, c’est être écologiste ?
D. L. : La foi chrétienne dit que Dieu ne vient pas simplement sauver l’humanité, mais toute sa Création. Et c’est François d’Assise qui nous l’a rappelé.
Le pape actuel a pris le nom de François d’Assise. Cela indique-t-il un programme ?
D. L. : Oui. Le pape François raconte lui-même que pendant le conclave, alors que le dépouillement des votes commençait à indiquer que Jorge Bergoglio serait élu, le cardinal assis à sa droite, un franciscain brésilien, lui tapota le coude et lui dit : « N’oublie pas les pauvres ». Ce qui lui a donné l’idée de prendre le nom de François.
Mais oublier les pauvres et oublier la Création, est-ce la même chose ?
D. L. : Oui, car avant François, les papes ont fait tout un travail préparatoire, notamment Benoît XVI avec l’encyclique Caritas in veritate sur les questions sociales. Benoît XVI dit déjà que l’on ne peut pas prendre soin des pauvres si l’on ne prend pas soin de la Création, et qu’inversement on ne peut pas s’occuper de la nature si l’on ne prend pas soin des plus pauvres. Le « tout est lié » de François était déjà annoncé. Je pense que le François a été appelé à devenir pape pour mettre en œuvre un certain nombre d’intuitions qui s’accumulaient mais que l’on n’arrivait pas à traduire pastoralement. Aujourd’hui, ce pape nous met au travail.
L’encyclique Laudato Si’ nous rappelle aussi la spiritualité franciscaine.
D. L. : Bien sûr, et très fortement. Le titre reprend le début du cantique aux créatures de François. Quand François d’Assise dit ce cantique, il est pratiquement à la fin de sa vie. Il est malade, il voit la mort arriver. Il demande à ses frères de le sortir de la cabane où il était enfermé parce que l’état de ses yeux lui rendait la lumière insupportable. Il proclame alors ce poème qui est une grande annonce de réconciliation avec la Création.
Peut-on dire que dans ce chant, il divinise la Création ?
D. L. : Il ne divinise pas, il fraternise. Il appelle frères et sœurs des créatures que l’on considérait jusque-là comme négligeables. Ce sont des créatures, nous dit-il, qui ont la même vie que nous, avec une autre dignité, une autre place, une autre mission, mais qui sont appelées au salut comme le reste de la Création.
Certains se sont scandalisés que l’on présente au pape François, au cours du Synode sur l’Amazonie, des statuettes incas représentant la Terre-Mère. Exposées à Rome, elles ont été volées et jetées dans le Tibre, et l’on a accusé le pape de réveiller les idoles. Que penser de telles polémiques ?
D. L. : Je pense que c’est typique des réseaux sociaux modernes, qui montent en épingle des choses sans importance. Ces objets ont été apportés au début du synode par les représentants indigènes d’Amérique du Sud, qui les ont présentés comme des éléments de leur culture, et les ont accompagnés de portraits d’hommes et de femmes morts pour défendre leur terre, des jésuites, des chrétiens martyrs de ce combat-là. On a chanté et prié autour de ces objets, sans le moindre signe de syncrétisme religieux, et sans que soit évoqué le fait que ces statuettes représentaient une divinité. Bien sûr, elles proviennent du fonds culturel indigènes et ressemblent à la Pachamama des Incas, mais elles représentent des femmes enceintes, à genoux. Et l’on a posé dans les jardins du Vatican deux de ces statuettes, face à face, pour évoquer la Visitation. Du coup, certains milieux conservateurs, voulant montrer que le pape François est un idolâtre trop à gauche qui veut changer la foi, ont saisi l’opportunité et crié au scandale.
Être écologiste, ce n’est pas faire du syncrétisme…
D. L. : Pas du tout. Il y a bien sûr toutes sortes d’écologies. Mais si l’on est chrétien et écologiste, l’écologie ne remplace pas la foi chrétienne. Elle vient l’enrichir, elle rappelle certains fondamentaux de l’existence biologique, relationnelle, sociale, environnementale, culturelle… François insiste beaucoup sur toutes les dimensions d’une écologie qui n’est pas seulement humaine ou environnementale, mais qui nous oblige à vivre autrement dans notre maison commune. Laquelle n’est pas faite que d’hommes et de femmes, que de créatures animales ou végétales, mais d’un ensemble de relations qui nous permettent d’être pleinement des êtres humains. Humains qui avons reçu le salut par le Christ, nous avons une mission particulière : être les gardiens de toute cette Création. Une des premières homélies du pape François, le jour de la saint Joseph le 19 mars, saluait Joseph comme le gardien de Marie et le gardien de la Création.
Pour un chrétien, que veut dire vivre de façon écologique ?
D. L. : Il y a beaucoup de manières de faire, suivant nos sensibilités, nos générations. On ne s’y engage pas de la même façon si l’on a 25 ou 60 ans. On n’a pas le même rapport à la consommation, à la vie politique ou économique. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait des écologies différentes. Je dirais que nous avons tous une responsabilité dans le renouveau des générations qui nous suivent. Or très souvent dans les collectifs, les générations qui sont en responsabilité ont un peu peur des phénomènes prophétiques ou de contestation qui arrivent, et passent leur temps à étouffer le renouveau qui se produit à la base. Mais il y a là un processus, et le pape François insiste beaucoup sur cette notion de processus, dans lequel chaque génération pourrait reconnaître qu’elle a essayé, et comprenne que la génération suivante puisse essayer autrement, tout en la soutenant.
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LE CANTIQUE DES CRÉATURES DE SAINT FRANÇOIS
Ce cantique faussement naïf écrit par François peu avant sa mort a traversé les siècles. Il trouve un écho tout particulier dans les préoccupations d'aujourd'hui.
Le cantique commence par les mots « Laudato si’ », qui ont été repris dans le titre de l'encyclique Laudato si' du pape François « sur la sauvegarde de la maison commune », saint François d'Assise étant lui « l’exemple par excellence de la protection de ce qui est faible et d'une écologie intégrale ».
Loué sois tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures,
spécialement messire frère Soleil, par qui tu nous donnes le jour, la lumière :
il est beau, rayonnant d'une grande splendeur, et de toi, le Très Haut, il nous offre le symbole.
Loué sois tu, mon Seigneur, pour sœur Lune et les étoiles :
dans le ciel tu les as formées, claires, précieuses et belles.
Loué sois tu, mon Seigneur, pour frère Vent, et pour l'air et pour les nuages,
pour l'azur calme et tous les temps : grâce à eux tu maintiens en vie toutes les créatures.
Loué sois tu, mon Seigneur, pour sœur Eau qui est très utile
et très humble précieuse et chaste.
Loué sois tu, mon Seigneur, pour frère Feu
par qui tu éclaires la nuit : il est beau et joyeux, indomptable et fort.
Loué sois tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la Terre,
qui nous porte et nous nourrit, qui produit la diversité des fruits,
avec les fleurs diaprées et les herbes.
Loué sois tu, mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour pour toi ;
qui supportent épreuves et maladies : Heureux s'ils conservent la paix,
car par toi, le Très Haut, ils seront couronnés.
Loué sois tu, mon Seigneur, pour notre sœur la Mort corporelle,
à qui nul homme vivant ne peut échapper.
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UN HYMNE À LA VIE
Ce chant qui célèbre la vie et la création, François d’Assise le porte en lui depuis sa conversion. On en trouve des bribes sans ses propos habituels, signe qu’il l’aura fredonné toute sa vie. Mais c’est au cours d’une épreuve profonde que ce poème jaillit dans la forme que nous connaissons. François n’avait plus que deux ans à vivre. Il n’avait pas encore 45 ans mais était reclus de fatigues et de souffrances. Il venait de recevoir les stigmates et souffrait d’une infection oculaire contractée en Orient qui le rendait presque aveugle. Il souffrait tant qu’il ne supportait plus la lumière du jour. A Saint-Damien où il se réfugia alors, Claire l’installa dans une petite maison et le soigna. Durant 50 jours, François demeura dans l’obscurité et, à bout de souffrances et de découragement, fit une expérience spirituelle d’une telle force que les mots jaillirent d’eux-mêmes de sa bouche pour donner ce Cantique de louange .
Une fraternité cosmique
François ne fait pas alors l’expérience d’une conquête de soi, comme on dirait aujourd’hui. Bien au contraire. Il traduit avec force que c’est dans un élan irrépressible de désappropriation que l’on peut se tourner vers Dieu, le louer pour ses créatures et fraterniser avec elles. François ne connaît plus le soleil, le vent, l’eau, le feu, mais « frère Soleil », « frère Vent », « sœur Eau », « frère Feu ». Ce n’est pas pour lui une simple allégorie mais bien des sentiments fraternels qu’il éprouve pour la création divine. Cette fraternité cosmique se rattache à la perception vive de la paternité universelle de Dieu. « C’est au sens théologique le plus fort du mot, et pas seulement en vertu d’une gentille poésie, que François parlait des oiseaux, du feu, du soleil…de la mort même, comme de ses frères et de ses sœurs » (P. Yves Congar)
Le Cantique des Créatures n’est donc pas un poème sentimental. Il découle de l’émotion dont vibre François devant la valeur de toute vie, en tant que manifestation de l’amour créateur. Entre lui et la création s’établit un lien profond, fait d’amitié, de respect et de vénération. Cet amour s’étend à toute chose, à tout être. Thomas de Celano, son biographe écrivait : «Il appelait frères et sœurs tous les êtres ; et d’une manière extraordinaire et inconnue aux autres, il savait, grâce à la perspicacité de son cœur, pénétrer jusqu’au plus intime de chaque créature».
Une vraie fraternité avec toute la Création
François fraternise donc avec le cosmos. Mais aussi avec les grandes profondeurs de l’âme humaine. Car le soleil, vent, l’eau, le feu, la terre, ne sont pas simplement des réalités de la nature, mais aussi des symboles des forces qui travaillent notre âme. Et c’est avec ces forces, parfois destructrices, que fraternise aussi François. Avec lui, ni l’eau, ni le vent, ni le feu, ni la terre, ni la mort même ne font peur. Et c’est réconcilié avec ces forces que François s’ouvre à l’amour créateur, se reconnaissant lui-même, parmi toutes les autres créatures, près d’elles, avec elles, dépendant de Dieu.
Ce sentiment de dépendance, vécu dans un immense tendresse sereine pour toute chose créée, libère François de tout désir de supériorité et de puissance. Il découvre ainsi le secret d’une pleine humanité et de la vraie fraternité. «Le monde n’est plus à posséder, il est la réalité splendide dans laquelle l’homme est admis à être vivant et à coopérer à la création avec tout ce qui vit» (Éloi Leclerc). C’est donc à la découverte émerveillée de ce monde que nous invite la fraternité universelle de François.
La Croix - Croire.