ANALYSE  

  • Mikael Corre, envoyé spécial permanent au Vatican, et Malo Tresca, à Rome., 
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Le Synode qui vient de s’achever, samedi 26 octobre 2024 à Rome, propose une nouvelle manière de gouverner dans l’Église, moins rigide et plus décentralisée. Sans être révolutionnaire, cette réforme a un maître mot : l’attention, y compris théologique, aux contextes.

 

 

Ce que François a voulu faire en convoquant ce Synode de trois ans : donner à voir une Église moins rigide, plus diverse et décontractée. Le thème choisi, « la synodalité », a pu paraître obscur. Mais à la lecture des 51 pages de son document final, on comprend qu’elle est d’abord un mode de gouvernance. Attention, il ne s’agit pas d’une révolution dans l’Église, et encore moins d’une rupture : la primauté du successeur de Pierre, celle du pape sur les autres évêques, demeure. Mais elle doit désormais s’exprimer d’une autre manière : moins monarchique, moins pyramidale et moins autoritaire.

 

Samedi 26 octobre, en conclusion du Synode, François a d’ailleurs lu quelques vers de Madeleine Delbrêl, « la mystique (française) des périphéries qui exhortait à ne pas être raide» : « Je pense que vous en avez peut-être assez, des gens qui parlent de vous avec des airs de capitaines…» Semblant auto-critiquer sa manière de gouverner parfois verticale, François a annoncé qu’il ne publierait pas d’exhortation apostolique post-synodale. « Le document que nous avons approuvé contient déjà des indications suffisantes qui peuvent servir de guide», a-t-il dit. « S’il est approuvé expressément par le Pontife romain, le Document final (d’un Synode) participe du Magistère ordinaire du Successeur de Pierre », précise la constitution apostolique Episcopalis communio, qui régit les règles de ces assemblées. En clair : les 155 articles adoptés samedi 26 octobre par les 356 membres du Synode ont la même valeur que s’ils émanaient du pape lui-même.

 

C’est important. Le 20 mai 2024, François avait répondu « non » à une journaliste américaine de la chaîne CBS qui lui demandait si les femmes pourraient un jour être diacres. Interrogé en conférence de presse, le 26 octobre, sur une possible contradiction avec le document final du Synode – qui considère la question « ouverte » –, le cardinal luxembourgeois Jean-Claude Hollerich a répondu en souriant : « Le pape a approuvé le texte. Ce passage (sur l’ouverture) est donc aussi de lui. Qui suis-je pour contredire le Saint-Père ? »

 

La question de la place des femmes dans l’Église a symbolisé ces dernières semaines la montée en puissance de l’assemblée du Synode face à la Curie romaine. Mais aussi la persistance de divergences en son sein : « Comme les Allemands (réputés progressistes, NDLR) n’ont pas réussi à entraîner l’Église selon leurs vues, ils ont trouvé un cheval de Troie cette année : l’autonomisation des conférences épiscopales », analyse un évêque au Synode. La capacité de ces assemblées d’évêques à prendre des décisions pour leur territoire a été l’un des points les plus débattus de ce mois d’octobre.

 

Le brouillon du document final, présenté lundi 21 octobre salle Paul-VI, et que La Croix a pu consulter, envisageait « que toutes les décisions prises ensemble (lors des réunions de ces conférences, NDLR) s’imposent aux évêques dans leurs diocèses ». De nombreux amendements (le document en a reçu 1 135 au total) ont obligé les quatre théologiens rédacteurs du document – deux Italiens et deux Anglophones – à réviser leur copie. Ce passage, parmi d’autres, a été supprimé, et la question renvoyée à des études ultérieures.

 

L’opposition des conservateurs s’est aussi particulièrement exprimée sur la question, toujours délicate, d’adapter la liturgie. Il faut « davantage faire, des célébrations liturgiques, une expression de la synodalité », indique tout de même le document sur ce point déjà commenté aux États-Unis. Le plan n’est pas de « remplacer les prêtres par des laïcs, a voulu déminer le cardinal Jean-Claude Hollerich, le 26 octobre. (La question) est : comment en faire quelque chose d’un peu plus participatif ? ».

 

Opposition résiduelle

Le fait que les opinions divergent sur ces questions n’est pas une surprise. Ce qui l’est en revanche, c’est que loin d’être vide de toute orientation, le document présenté ce 26 octobre fait relativement consensus. Certes, il ne demande plus comme l’envisageait son brouillon du 21 octobre la tenue de synodes diocésains tous les trois à cinq ans (le document final parle de « régulièrement »). Certes, il n’est plus clairement exprimé l’idée que les conseils y compris économiques – qui deviennent obligatoires dans les paroisses et les diocèses – soient composés d’une majorité de membres laïcs « non nommés » par le prêtre ou l’évêque. Mais pour beaucoup de participants, l’essentiel est dans le document.

 

Parmi les conservateurs interrogés, on se félicite d’un texte « attentif aux contextes sans être attentatoire à l’unité de l’Église », comme le formule un évêque. Chez les progressistes, on souligne son « ouverture » même si on regrette que les personnes LGBTQI + n’apparaissent par exemple pas. « L’indication que la voix des victimes et survivants des violences sexuelles doit être écoutée n’est pas rien», dit un laïc présent au Synode.

 

Surtout, certains points semblent bel et bien avoir rassemblé. Le concept anglo-saxon d’accountability (« redevabilité » en Français) est par exemple cité à 19 reprises. Et les passages du texte demandant aux autorités de l’Église – le prêtre, l’évêque mais aussi le nonce et le responsable de dicastère au Vatican – de davantage consulter et de régulièrement rendre compte, par exemple sur des questions financières et de protection des mineurs, n’ont suscité qu’une opposition résiduelle lors du vote du 26 octobre.

 

Plus largement, de nombreux participants à ce Synode évoquent un changement de culture. « On est à un tournant, pratiquement similaire pour moi à celui engagé au moment de la Réforme grégorienne et qui s’est étendu sur pratiquement deux siècles pour porter tous ses fruits dans la vie de l’Église », s’enthousiasme le théologien belge Alphonse Borras, au terme de ce Synode. Là où l’Église avait tendance à insister sur son unité, son « universalité », elle a cette fois laissé s’exprimer les différences de contextes. Avec cette conviction : la décentralisation et la démocratisation de ses instances ne se feront pas sans solidarité. Sans un renouvellement profond « des relations ».

 

À la lecture du document final, on ressent d’ailleurs cette question, comme un fil rouge, adressée en priorité aux communautés locales les plus en difficulté, touchées par la guerre ou la pauvreté : comment les autres instances de l’Église, à commencer par Rome, peuvent-elles mieux vous aider ?

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Synode, et maintenant ?

Samedi 26 octobre, François a immédiatement déclaré qu’il approuvait « expressément » le document final voté par l’Assemblée, et qu’il ne produirait pas d’exhortation apostolique post-synodale. Le texte entre donc immédiatement dans le magistère du pape. Ce dernier a toutefois pris la peine de préciser qu’il n’était pas normatif, mais « un guide ».

 

Dès maintenant, la phase de mise en œuvre du document final peut être lancée dans les diverses réalités ecclésiales, a souligné le pape. Il revient donc aux Églises locales de travailler sur les pistes soulevées.

 

D’ici à juin prochain, les différents groupes de travail, à qui le pape avait demandé de travailler sur des questions spécifiques (pauvreté, univers numérique, nouveaux ministères…) en marge de l’Assemblée synodale, devraient rendre leurs conclusions.