Jean-François Sadys: Monseigneur Alexandre de Bucy, bonjour. Vous venez d’être nommé évêque du Lot-et-Garonne. Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Quel enfant avez vous été? Quel adolescent avez-vous été? Quel jeune homme avez-vous été?
Monseigneur Alexandre de Bucy: Je suis né dans une famille aimante et chrétienne qui a été le bon terreau dans lequel j’ai poussé. Je me souviens notamment que chaque soir, avant de nous coucher, nous nous retrouvions en famille pour prier ensemble le Seigneur. C’est dans ma famille que j’ai appris à connaître le Christ, à l’aimer et à le servir dans mes frères et sœurs qui m’entourent, notamment les plus petits.
J’ai ensuite grandi à Paris puis à Versailles, qui ont été aussi des lieux formateurs pour moi, en m’impliquant dans le scoutisme, véritable école de vie. Le scoutisme m’a appris à vivre en communauté, à prendre soin de la création et des créatures, à devenir toujours plus un serviteur. A Versailles, je me suis impliqué dans ma paroisse, Saint-Symphorien, en étant au service de l’autel, qui m’a donné le goût de la rencontre du Christ dans la liturgie. Enfin, j’ai pu participer aussi aux conférences Saint-Vincent de Paul jeunes, en visitant les personnes âgées d’une maison de retraite.
Après le baccalauréat, je suis entré au lycée militaire de Saint-Cyr-l’école, en préparation littéraire. J’avais le désir de servir comme officier dans l’armée, au service de la paix. Même si je n’irai pas jusqu’au bout de ces études, en entrant au séminaire, j’ai fait plus tard mon service militaire comme Élève Officier de Réserve au 4ème chasseur à Gap, dans les Alpes.
JFS: Quand, pourquoi, comment avez-vous décidé de devenir prêtre?
ADB: Ma famille indirectement a joué un grand rôle, en me faisant grandir dans la vie du Christ et de son Corps, l’Église.
Mais, la première fois que je me suis posé la question, c’est lors d’une retraite à l’abbaye de Solesmes que nous avions faite avec notre école de Versailles. Le fait de côtoyer pendant deux jours ces moines heureux d’avoir donné toute leur vie au Christ m’a donné le goût aussi de donner ma propre vie au Seigneur. J’ai senti là un véritable appel du Seigneur. Plus tard, le jeune prêtre, aumônier de notre troupe scoute, rayonnant, a fait grandir en moi ce désir de suivre le Seigneur et de répondre à cet appel.
C’est enfin la parole de Dieu que j’ai découverte plus tard qui m’a aidé à faire le dernier pas. La découverte de cette parole vivante qui m’est adressée personnellement, notamment celle du Christ : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15).Elle m’a aidé à choisir de donner ma vie au Seigneur et aux personnes vers lesquelles il m’enverrait, dans le célibat vécu comme un don fait par amour.
JFS: Comment devient-on évêque? Peut-on refuser d'être nommé évêque?
ADB: C’est un appel qui vient vous rejoindre là où vous êtes. Surprenant, car on ne s’y attend pas, et intimidant, car c’est une mission immense. Comme tout appel, il nécessite une réponse libre, quelle qu’elle soit.
JFS: Quel est le rôle d’un évêque?
ADB: L’évêque est un frère. Comme chacun, il est d’abord disciple du Christ. Il écoute attentivement ce qu’il lui dit et dit à son Église, il se nourrit de son Corps et de ses sacrements, et il le fait avec tout le peuple de Dieu.
L’évêque est aussi un père, qui prend soin de tous ceux qui lui sont confiés. Comme le bon pasteur, il va à la recherche de ceux qui sont plus loin, blessés, malades, prisonniers ou perdus. Il est à la fois devant, pour montrer la route à suivre, celle où le Christ nous appelle, il est aussi au sein du peuple, pour se laisser façonner par tout ce peuple, et derrière pour prendre soin des derniers.
JFS: Le journal « La Croix » vous a présenté comme un prêtre « tout terrain », qu’est-ce que cela signifie?
ADB: Sans doute parce que je suis toujours sorti de ma bulle pour aller à la rencontre des autres différents de moi. Je suis sorti de ma bulle versaillaise où j’ai tant appris et tant reçu, et que j’aime, pour aller à la rencontre du monde populaire, en étant vicaire au Val Fourré, à Mantes la Jolie, puis curé à Sartrouville. Je suis sorti de ma bulle française, en allant comme prêtre fidei donum (1) au centre du Mali, dans le diocèse de San de 2010 à 2016, en pleine crise sécuritaire dans le pays. Et ce mouvement n’est jamais terminé, c’est ainsi que je souhaite poursuivre ma route avec le Christ pour sa mission.
JFS: Quel regard portez-vous sur notre époque? sur l'évolution du monde?
ADB: Notre monde est fait d’ombres et de lumières, à l’image du champ dans lequel pousse le bon grain et l’ivraie. Nous devons voir ce qui est beau et bon, et lui permettre de se développer, et savoir aussi regarder ce qui est moins bon, mettre des mots sur ce qui ne va pas permet souvent de désarmer les conflits et de discerner les choix à faire également. En tous les cas, nous ne devons jamais nous laisser écraser par ce qui ne va pas, mais porter un regard plein d’espérance. Le Seigneur nous conduit, et il a un projet de bonheur pour tous. A nous d’y collaborer activement en confiance.
JFS: Comment voyez-vous la place des femmes dans l’Église
ADB: Quand je lis la Bible ou les Évangiles, je vois une place importante des femmes dans l’histoire du salut. Elles interviennent souvent dans des situations délicates, comme Judith, Esther ou évidemment Marie, sans compter Marie-Madeleine, l’apôtre des apôtres comme aiment à l’appeler les Pères de l’Église.
Aujourd’hui, nous redécouvrons de plus en plus la place de la femme dans l’Église. Comme mes prédécesseurs à Agen, j’ai appelé trois femmes au sein du conseil épiscopal, de nombreuses femmes sont à la tête de services diocésains et nous aident à établir les grands axes de la pastorale dans le Lot-et-Garonne. Et comme curé, j’ai énormément collaboré avec elles dans tous les secteurs de la pastorale.
Il est évident que nous avons encore des avancées à vivre dans cette coresponsabilité différenciée et le pape François nous invite à le faire, notamment à travers tout le mouvement de la synodalité de l’Église.
JFS: Les enfants d’aujourd’hui vont-ils beaucoup au catéchisme? Y a-t-il un manque d’enfants au catéchisme comme il y a un manque de prêtres?
ADB: Les situations sont très variées d’une paroisse à l’autre. On ne peut pas tirer de loi générale.
Je remarque cependant des signes d’espérance : dans les écoles catholiques, nous arrivons à rejoindre beaucoup de jeunes que nous ne verrions pas facilement venir dans nos paroisses, nos écoles permettent souvent à tous ces jeunes de vivre un vrai projet d’éducation chrétienne et sont un lieu de rencontre avec le Christ. De plus, je constate que beaucoup d’adolescent et de grands jeunes viennent en nombre dans nos paroisses avec le désir de préparer le baptême et de vivre à la suite du Christ. Il y a là un souffle qui nous dépasse d’ailleurs largement. Enfin, je vois de nombreux pasteurs être très attentifs à une pastorale des vocations, en permettant de découvrir comment le Seigneur a un appel personnel pour chacun, à l’image de tous les appels bouleversants que le Christ n’a eu de cesse de répercuter tout au long de son ministère parmi nous et que nous découvrons avec émotion dans les Évangiles.
Et si après cette explosion du catéchuménat jeune et adulte, le Seigneur nous réservait aussi des entrées nombreuses au séminaire ?
JFS: Sommes-nous toujours les enfants de nos parents, de nos grands-parents, de nos familles ou les humains de notre époque façonnés par les médias? la publicité? les réseaux sociaux? Internet? l’intelligence artificielle?
ADB: Si nous sommes bien les enfants de nos familles et de notre monde, nous sommes également libres de répondre à l’appel du Seigneur et à son désir de nous voir construire le royaume de Dieu qu’il a jeté en terre. Il n’y a donc aucune fatalité, mais un chemin qui est ouvert devant nous, toujours. Nous sommes donc les enfants de ce projet de Dieu pour nous, de son rêve.
JFS: Des personnes affirment que notre société se déshumanise et craignent le projet de loi de fin de vie. L’autorisation d’euthanasier des êtres humains, qu’en pensez-vous?
ADB: Comme chaque chrétien, je suis très attaché à la vie, toute vie, même la plus fragile.
Dans mon diocèse, j’ai la grâce d’avoir une maison de retraite tenue par les petites sœurs des pauvres. Je vois tout le soin qu’elles prennent de chacun avec toutes les équipes de laïcs qui travaillent avec elles. Elles sont très attentives notamment à ceux et celles qui souffrent le plus, qui n’en peuvent plus parfois, cherchant toujours à diminuer toute souffrance, et veillant à être présente à leurs côtés quand bien souvent on aimerait détourner les yeux de ces situations difficiles. Elles leur tiennent la main avec amour et compassion. Comme j’aimerais en effet que nos sociétés sachent toujours tenir la main de nos frères et sœurs les plus fragiles ! Comme j’aimerais que nos sociétés sachent développer d’abord les soins palliatifs pour qu’ils soient accessibles à tous sans distinction et à tous les territoires !
JFS: Quelles sont vos priorités pour le diocèse d’Agen? Comment voyez-vous votre mission en Lot-et-Garonne?
ADB: Ma première priorité est de partir à la rencontre de ceux qui me sont confiés : prêtres, diacres, consacrés, laïcs en mission. Actuellement je fais le tour de chacun dans leurs lieux de vie. Je partirai ensuite à partir de février et jusqu’en juillet 2025 à pied à la découverte de toutes les paroisses du Lot-et-Garonne. Marcher chaque jour sur les routes et les chemins avec ceux et celles qui le souhaitent me permettra de rencontrer beaucoup de gens sur les bords de la route, de manière gratuite, d’entendre les joies et les peines et les espérances de beaucoup. Ces rencontres me permettront d’envisager peu à peu les grands défis que nous devons relever aujourd’hui.
JFS: Merci Monseigneur d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.
(1) le 21 avril 1957, jour de Pâques, le pape Pie XII publiait une encyclique missionnaire – Fidei donum [Le don de la foi] – plus particulièrement consacrées aux Églises locales du continent africain en raison de leur rapide développement durant les années cinquante.