Père Vincent Leclercq, assomptionniste
Contacté par la rédaction de Prions en Église pour écrire ce billet de la newsletter d’avril, j’ai conscience de vous rejoindre en des temps difficiles. Tout comme vous, j’expérimente un bouleversement complet de l’emploi du temps ou de mes habitudes. Aucun des projets que je voulais mentionner ici, avant mon départ en Afrique, ne convient.
Je suis revenu normalement de ma mission à Nairobi (Kenya). J’ai embarqué la veille du jour où la plupart des avions ont cessé de voler et juste après l’annonce du président de la République française du confinement ainsi que la fermeture des frontières entre pays européens. Je n’ai pas pu regagner ma communauté de Rome. Resté en France, j’apprends à vivre autrement. Les cours de théologie, une retraite spirituelle avec nos frères aînés à Albertville, deux jours de session à Paris avec les Petites Sœurs de l’Assomption sur le sens de leur vie post-professionnelle, les retrouvailles avec les frères de ma communauté à Rome sont reportées… sans date.
Le temps est suspendu. Qu’allons-nous faire de tout ce temps ? Cette pandémie nous place devant la fragilité de toute vie. Mais aussi le bonheur de nous réveiller chaque matin en bonne santé. Le printemps est là, à nos portes. Il nous enseigne que la vie continue. Certes, il y a le souci pour nos proches, surtout de nos aînés forcément plus vulnérables, mais aussi mille manières de leur signifier qu’ils nous sont chers. Nous vivons un éloignement forcé mais aussi de multiples occasions de leur signifier combien ils nous sont proches. Dans notre « désœuvrement », nos priorités ont davantage le souci et le goût de l’autre. Et la parole de Dieu, dont chaque mot résonne plus intensément, nous indique combien le Seigneur en fait son “œuvre”, mystérieusement et miséricordieusement. Ce temps est un temps pour la foi, l’espérance et l’amour. Il n’est pas vide. Tout au contraire, il est plein de tout ce que le Seigneur veut nous offrir pour célébrer une Pâque entièrement nouvelle.
Passé le temps de la sidération et de la frustration, je commence à comprendre ce que le Seigneur attend de moi. Le temps lui appartient. Il s’agit de lui offrir par une prière plus intense, reliée à tous ceux qui mènent le bon combat contre la maladie : les soignants, mais aussi ceux qui travaillent dans l’énergie, les transports, l’approvisionnement en produits nécessaires ou la communication. Nous sommes reconnaissants et dépendants de tous ceux qui font en sorte que notre existence puisse se dérouler le plus normalement possible. Un jour, nous célébrerons ensemble nos « relevailles » de cette pandémie et tout ce que nous avons reçu les uns des autres. Pour l’instant, nous avons le devoir de prier pour ceux qui risquent leur vie pour nous, et de bien des manières. Et, puisque la vie continue, d’anticiper déjà notre retour à une vie « normale ».
Avec une femme pasteure vivant au Bénin, nous travaillons, ensemble et à distance, à la rédaction d’un chapitre consacré au livre de Job. Double point de vue (homme et femme, africaine et européen, protestante méthodiste et prêtre catholique) sur les réactions de cet homme inexplicablement et brutalement éprouvé, modèle de foi et d’humanité. La force principale de Job fut sans doute de se reconnaître vulnérable. Enfin, le télétravail est déjà une des réalités de notre vie religieuse. Notre congrégation est située en une trentaine de pays et en dehors des voyages nécessaires, nous échangeons habituellement à distance.
Hébergé chez mon frère aîné, je le vois se battre chaque jour pour la survie économique de son entreprise, la protection des collaborateurs et usagers et pour maintenir une activité considérée comme prioritaire pour la population. Quelles leçons tout autour de nous ! À nous de bien voir et saisir… Nous sortirons autrement de cette épreuve de la pandémie. Chacun ayant mieux compris le sens de son existence pour soi mais aussi pour l’autre. Et sous le regard de Dieu, notre joie sera grande.