Carlo Acutis est notamment connu comme le « cyber-apôtre » de l'eucharistie. Il est maintenant vénéré comme bienheureux par l'Église catholique, et sera fêté les 12 octobre.
Les visiteurs se pressent pour se recueillir devant le corps du jeune Carlo Acutis. © Claire Guigou / I.Media
Aleteia
Depuis quelques jours, le sanctuaire du dépouillement d’Assise accueille un flot de pèlerins venus vénérer le corps de Carlo Acutis, qui sera béatifié ce 10 octobre. Devant la normalité déconcertante de la vie du jeune Italien féru de technologies, la sainteté devient soudain accessible.
Des familles nombreuses, un couple de personnes âgées ou encore des adolescents dissipés… Le profil des fidèles qui poussent la porte du sanctuaire du dépouillement connu comme le lieu où saint François a délaissé ses habits opulents devant son père, est aussi varié qu’éclectique. « Il y a des gens du coin mais aussi des personnes extérieures, qui viennent de loin en Italie, la plupart d’ailleurs », estime Luigi, volontaire pour gérer le flux des pèlerins. À l’écouter, l’église accueillerait chaque jour quelques milliers de personnes.
Par petits groupes, fidèles dévots ou simples curieux viennent se recueillir quelques minutes sur le petit banc en face du tombeau moderne qui comporte des parties en verre laissant apparaître le corps de Carlo. La dépouille de ce dernier a été « traitée pour être exposée », explique l’évêque d’Assise, Mgr Domenico Sorrentino, à plusieurs médias. Il souhaite ainsi mettre fin à certaines rumeurs indiquant que le corps de l’adolescent avait été retrouvé intact. Le visage de Carlo, abîmé au moment de sa mort, a en effet été reconstitué grâce à un masque en silicone. Un fait étonnant doit cependant être relevé : alors que l’Italien est mort il y a 14 ans, son corps une fois exhumé présentait tous ses organes.
« Le plus important, ce n’est pas son corps mais les miracles que Dieu peut réaliser à travers lui », tranche Luigi qui n’a que faire des propos autour de l’ « enveloppe » de Carlo Acutis. Quel que soit le caractère miraculeux ou non de la préservation de la dépouille de l’adolescent, il est indéniable qu’une paix transparaît de ses traits apaisés. « On dirait seulement qu’il dort », glisse une fillette à son père toute émue. Ce qui frappe, c’est aussi la manière dont est vêtu le futur bienheureux, qui a gardé son sweat et ses baskets.
En réalité, l’exposition du corps du jeune Italien renvoie les nombreux visiteurs à la poignante simplicité de sa vie, traversée par la présence de Dieu. Comment ne pas se reconnaître dans cet adolescent à la vie somme toute banale ? « Il n’avait rien de plus que moi », s’enthousiasme Carla. De passage dans la cité ombrienne pour le mariage de l’un de ses amis, cette trentenaire a souhaité s’arrêter dans la petite église pour vénérer le futur bienheureux. « Sa vie était plus que normale, je ne vois rien d’extraordinaire. En somme, il a simplement fait ce qu’il avait à faire », ajoute-t-elle, faisant remarquer à ses amis qu’il est de la même année de naissance qu’elle.
Bien dans son époque, l’adolescent plutôt débrouillard a su mettre sa passion pour les nouvelles technologies au service de sa foi, créant notamment un site internet consacré aux miracles eucharistiques. Un parcours qui inspire bon nombre de fidèles comme ce couple venu le vénérer et à l’origine de la création d’une chaîne YouTube dédiée à des témoignages chrétiens. Pour eux, la toile est le principal vecteur d’évangélisation d’aujourd’hui et Carlo Acutis peut être en ce sens un vrai modèle.
La renommée du premier bienheureux du 21e siècle s’est d’ailleurs propagée comme une traînée de poudre grâce aux réseaux sociaux. « Je l’ai connu via YouTube et soudainement j’ai ressenti le besoin de venir, ces chose-là ne s’expliquent pas », confie une mère de famille qui a fait le déplacement depuis Rome. Institutrice, Frederica voit quant à elle en Carlo un exemple pour éduquer ses élèves à l’utilisation des réseaux sociaux : « son exemple peut les faire réfléchir car c’est un saint de leur âge ». À ce titre, explique-t-elle, les groupes de prières s’inspirant de la figure de Carlo Acutis ne cesse de se multiplier en Italie.
Ce 10 octobre, la cité ombrienne devrait accueillir plus de 3.000 pèlerins pour la béatification du jeune italien. Désormais, il ne manque plus que la reconnaissance d’un nouveau miracle pour que ce dernier soit canonisé.
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Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Un jeune bien enraciné dans le 21e siècle, avec une foi profonde qui l’a conduit vers la sainteté: l’italien Carlo Acutis est béatifié à Assise ce 10 octobre. Le père Will Conquer, qui lui a consacré un livre, revient sur la figure de ce “millenial” dont la pureté de cœur interpelle.
Depuis huit siècles, la cité ombrienne d’Assise est liée au nom de saint François…. Et depuis 2006, à celui d’un futur bienheureux, dont le lumineux tombeau se trouve en l’église Santa Maria Maggiore: Carlo Acutis. Ce jeune italien mort à quinze ans d’une leucémie foudroyante sera béatifié samedi 10 octobre après-midi depuis l’église supérieure de la basilique Saint François, par le cardinal Agostino Vallini, légat pontifical pour les basiliques d'Assise.
«Être toujours uni à Jésus, voilà mon programme de vie» résumait Carlo, ou en encore, quelques jours avant sa mort dans une clinique de Monza: «Je suis content de mourir car j’ai vécu ma vie sans négliger une seule minute en choses qui ne plaisent pas à Dieu». De fait, toute son existence en témoigne: Eucharistie quotidienne - son «autoroute vers le Ciel» -, prière du chapelet, confession hebdomadaire… une foi intense qui se conjugue harmonieusement et joyeusement avec l’amour du prochain. Carlo est un jeune tourné vers les autres, généreux, en particulier avec les pauvres qu’il rencontre dans les rues de Milan, et ne manque pas une occasion d’évangéliser. Il est également passionné d’informatique, au point de monter une exposition sur les miracles eucharistiques, présentée aujourd’hui sur les cinq continents. Certains le voient même comme un futur saint patron d’Internet.
Carlo a donc grandi comme un témoin rayonnant de l’Évangile; mais à première vue, il est un adolescent parmi d’autres. Alors qu’est-ce qui distingue ce «saint de la porte d’à-côté», pour reprendre une expression du Pape François? La réponse de Will Conquer, prêtre de l’archidiocèse de Monaco en mission au Cambodge depuis un an. Il est auteur de "Carlo Acutis, un geek au paradis", paru aux éditions Première Partie.
Entretien avec le père Will Conquer :
J’ai envie de dire: la simplicité, et pas la banalité. Certains qui ont lu la vie de Carlo ont fini presque déçus, et pourtant, c’est justement ce qui doit nous interpeller. Carlo, c’est celui qui va nous aider à aimer saint Jean. Carlo, c’est un saint Jean l’évangéliste du 21e siècle. Il vient nous parler et nous aider à nous mettre à l’écoute du Cœur de Jésus dans le monde d’aujourd’hui, pas en cherchant des choses extraordinaires, mais en acceptant, dans l’ordinaire de notre monde, de voir la Grâce extraordinaire de Dieu en action. Ce n’est pas non plus l’homme de lieux communs, et de phrases toutes faites, par lesquelles on pourrait se dire: «C’est facile d’être saint, il faut juste faire deux-trois phrases bien faites». Non, c’est une voix très personnelle, mais dans la simplicité du quotidien. Il ne faut pas rêver d’une sainteté qui soit pour les grandes heures de gloire et pour les grands évènements, mais dans la «quotidienneté», la “quotidianità”, un mot qu’utilisent beaucoup les Italiens, un mot que je détestais quand j’habitais en Italie, mais plus j’avance dans ma vie missionnaire, plus je me rends compte à quel point c’est cela qui va nous sanctifier. Le quotidien de la vie des saints.
Dans ce quotidien, qu’est-ce qui formait le pilier de la vie de foi de Carlo?
C’est l’amitié avec Jésus. Cette amitié, ce n’est pas juste pour la première communion ou pour la confirmation. Ce qui est fou, c’est que cette amitié est communicative. Ce n’est pas un couple à deux, où l’on se replie l’un sur l’autre, c’est une amitié explosive qui va se partager avec le monde. Pour moi, Carlo c’est l’ami de Jésus, et c’est lui qui va nous faire entrer dans cette amitié, qui va les partager avec les gardiens d’immeuble, avec les copains à l’école, avec tout le monde… personne ne l’arrête, avec ses parents, avec ses cousins, avec sa cousine, avec ses grands-parents… C’est une amitié très communicative, et je crois que c’est vraiment cela, l’amitié avec Jésus, qui fait son quotidien.
Et quelle est la vertu principale de Carlo Acutis?
C’est une vertu qu’on a totalement perdue: la pureté de cœur et d’intention. Ce qui est fascinant, plus je vois Carlo, c’est la transparence de cet enfant. On a besoin de retrouver cela. Déjà, la pureté d’intention par rapport à Dieu. À la béatitude “Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu” (Mt 5,8), j’ai envie d’ajouter «et ils nous Le feront voir». Les cœurs purs voient Dieu, mais ils nous le font voir aussi, car ils rayonnent par transparence. Carlo c’est cela, accepter la volonté de Dieu.
Numéro deux, la pureté d’intention dans ce qu’il fait. Il fait des projets, mais ce n’est pas pour sa gloire. Il fait les choses pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
Enfin, et c’est le plus important, car c’est vraiment le plus grave dans le monde aujourd’hui, et de ce point de vue-là, Carlo est vraiment un modèle pour nous, car dans un monde qui s’est fourvoyé, il vient nous rappeler que la pureté est possible: la pureté par rapport à Internet, par rapport aux attitudes et aux gestes déplacés, et par rapport aux relations amoureuses. Par exemple, quand il va à la piscine et qu’il voit ses copains commencer à siffler les filles qui sont en maillot de bain ou avoir des gestes déplacés, alors il va reprendre les gens. C’est une pureté engagée, qui va redresser le monde dans ses torts. Et ça, c’est important, parce qu’aujourd’hui, on ne peut plus être complaisant: il faut se rendre compte que c’est un fléau qui est en train de s’abattre sur l’humanité par internet, et Carlo va être un prophète de la pureté. Aujourd’hui, dans les groupes de jeunes – et je vois cela en tant qu’aumônier -, c’est affligeant de voir la décadence des mœurs et surtout la banalisation. Carlo a besoin de dire cela à la jeunesse aujourd’hui, on ne peut pas seulement leur dire: «être saint, c’est être gentil avec ton voisin, et aller à la messe une fois de temps en temps». Non, ce n’est pas que cela. C’est bien évidemment l’amitié avec Jésus en «number one», mais il faut comprendre que c’est dans une conversion de la vie. On est appelés à une vraie conversion morale dans le monde d’aujourd’hui. Et la sainteté, c’est aussi une pureté: il est urgent, vraiment, de comprendre cela.
Comment cette pureté s’est-elle développée dans la vie de Carlo?
Pour Carlo, ça a été un vrai combat, mais un combat paisible, car vécu dans l’éducation, une éducation progressive à la vie morale qui vient aussi des parents. Des parents qui accompagnent les enfants, qui les aident à grandir, qui les forment, qui les structurent. L’éducation de Carlo va lui permettre de grandir dans la vie chrétienne. Ce qui est intéressant, c’est qu’il ne cesse de grandir. Quand il meurt, il meurt très jeune, mais on voit quelqu’un qui était en train de grandir dans la foi. Et sa foi grandit avec son corps, avec son intelligence, et c’est beau de voir cela. L’amitié [avec Jésus] grandit de jour en jour, comme grandit le Corps du Christ, à mesure qu’il reçoit l’Eucharistie de jour en jour.
Chez Carlo, la vertu n’est pas quelque chose d’inné, il est conscient des combats, il est intransigeant, mais il sait que la victoire est assurée, donc il grandit paisiblement dans la vie de sainteté. C’est ce que j’ai envie de dire aux gens: ne pensez pas que demain, il y a la canonisation de Carlo, alors on va tous devenir saints. Non. Mais on va essayer de suivre le chemin qu’il a pris, et avancer paisiblement, nous aussi, vers la sainteté.
Que penser de cette béatification qui a lieu quatorze ans seulement après la mort de Carlo? Quel message en retenir?
Tout le monde, toute l’Église, tous les chrétiens, attendent des nouveaux modèles. Tout le monde l’attend, et c’est la raison de l’engouement. Aujourd’hui, la sainteté de l’enfance est coincée dans le modèle de la sainteté de Fatima, qui est magnifique, mais qui nous semble très loin, alors que c’était seulement il y a cent ans. Les dernières figures d’enfants saints, c’est vraiment celles-ci, les enfants de Fatima. Le monde a donc besoin de nouveaux modèles de sainteté.
Pourquoi lui? Je ne sais pas. Ce qui me frappe, c’est que c’est la première fois que l’on a un enfant dont les parents sont vivants et qui va être béatifié – la première fois dans l’histoire du monde-, c’est la première fois qu’un “millenial” va être béatifié, la première fois que quelqu’un qui avait une adresse mail va être canonisé. Ce qui est intéressant, c’est que la mère de Carlo parle très peu de lui. Ce dont elle parle, à chaque fois qu’on lui pose une question sur Carlo, c’est de la jeunesse d’aujourd’hui. Ce qui compte pour elle, ce n’est pas d’avoir un nouveau saint, c’est d’avoir une nouvelle génération de saints. Ce qu’elle veut, ce n’est pas promouvoir une cause, mais promouvoir chacune de nos causes, et que par Carlo, on puisse se rendre compte que chacun d’entre nous, de la jeunesse d’aujourd’hui, est lui aussi appelé à devenir saint. Le premier du troisième millénaire s’appelle Carlo: qu’il ouvre un boulevard à une nouvelle génération de saints, et que l’on puisse nous-même faire avancer notre propre cause avec cette béatification. Notre cause n’est pas désespérée, et c’est notre vocation à la sainteté.